C'est le grand jour, enfin pour l'instant il fait bien noir après une petite nuit : Il est 3 H 00. Nous nous préparons, doucement pour ma part, et Émeric s'installe en tête de cordée. Objectif 4810m : environ 1000 mètres à grimper entre -10°C et -20°C.
Notre départ est progressif. Nous croisons quelques bivouacs installés au dessus du refuge. Le silence mêlé à l'obscurité de notre avancé est étrange. Nous suivons dans la nuit la guirlande des frontales qui nous devancent. Visiblement ils sont nombreux devant nous et certains déjà très haut. L'arête est plutôt large et nous sommes assez protégés du vent. Lorsqu'il souffle, la neige projetée devient vite gênante. On ne voit pas grand chose du vide.
Après une heure de montée, un petit répit avec une descente en faux plan avant d’attaquer l’ascension du Dôme du Goûter.
Quelques alpinismes commencent à redescendre avec leur guide, ce sont les premiers abandons.
La montée se fait en lacets serrés. Il faut à chaque virage enjamber la corde, ceci demandant un effort supplémentaire. Parfois l'assaut de la pente est direct, il faut marcher en crabe. Nous nous concentrons sur la marche, sans trop réfléchir. Quelques courtes pauses pour redescendre le rythme cardiaque et reprendre du souffle.
Pour des raisons d'obscurité et de concentration à l'effort, peu de prises de vue pourront vous être proposées...
Au bout de 2 heures de montée, j'ai des soucis à reprendre le souffle et je demande à Émeric de ralentir le rythme. Nous arrivons sur l'épaule du dôme avec un replat vers le refuge Vallot servant de refuge de secours. Nous sommes à mi-parcours du sommet.
Il est difficile d'y rentrer et de trouver une place. Plusieurs personnes sont recroquevillées dans leur duvet ou couverture de survie. Eux aussi ont renoncés et seront repris par leur équipe pour la descente, après un petit repos, sans pénaliser leur cordée. Le refuge est aussi une poubelle : Des tas d'ordures en tout genre jonchent le sol, c'est un peu déplorable. Je profite de cette pause pour bien me réhydrater et m'alimenter ;
Nous repartons tranquillement. Au fur et à mesure de notre montée le doute se dissipe. Le jour commence à venir, je coupe la frontale. Certaines sections sont assez raides, la durée de l'effort et le manque d'oxygène commencent certainement à épuiser également. Aucun MAM, comme on dit dans le jargon - comprenez le mal des montagnes - ne se fait pas sentir.
Nous abordons la partie la plus délicate et impressionnante du trajet : L'arrête des Bosses avec du vide de part et d'autre. Nous avançons sur le flanc de l'arrête en croisant les premiers vainqueurs du jour du Mont-Blanc. Les croisements, à cheval sur la frontière franco-italienne, sont particulièrement dangereux à cet endroit.
Nous poursuivons notre chemin sur l'arrête sommitale. Ça sent bon la victoire mais nous devons rester concentrés. Nous marchons sur la crête et en cas de dévissage d'un membre de la cordée, le second doit se jeter rapidement à l'opposé. Je vous rassure tout de suite : On restera bien sur la ligne de crête jusqu'au sommet que nous atteignons vers 8h30. Mission accomplie ! Le temps est splendide. Nous profitons de la vue à 360°. Le trip s'était de prendre un dessert Mont-Blanc pour le manger sur le sommet; malheureusement on a oublié de les acheter;
Les alpinistes venus notamment par la voie des 3 Monts-Blancs rejoignent le sommet. Nous restons un petit quart d'heure au sommet : Il y a, et oui, 2500 mètres à descendre et le dernier train sifflera mais il n'attendra pas 3 fois! Il est aussi préférable de traverser le couloir de la mort le plus tôt possible. Nous aurions pu descendre par une autre voie or il fallait récupérer la voiture à Saint-Gervais.
Vue sur le versant français
Vue vers le versant italien
Notre descente est prudente. Nous croisons à notre tour les grimpeurs, nous, descendeurs, sommes montés d'un grade vis à vis d'eux. Émeric commence à fatiguer; cette petite virée commence à devenir longue...avec 3 jours d'effort derrière nous.
Je profite du temps pour faire des photos.
Nous faisons une pause déjeuner au retour au refuge du Goûter. Puis ayant repris l'ensemble des affaires, nous entamons la descente de l'arête du Goûter. Les premiers mètres sont très très lent : Le pente est plus que raide. Jongler entre les chaînes et la corde se confirme très incommode. Nous sommes très prudent dans la descente avec en plus l'accumulation de la fatigue physique. Le refuge de Tête Rousse parait encore bien bas. En relevant la tête je constate que le refuge du Goûter est toujours proche. Ça risque d'être psychologiquement long. La paroi commence à ne plus être équipée de chaînes, signe que l'inclinaison diminue.
Nous descendons toujours en plein soleil, après plus d'une heure de descente, l'eau manque et on se réhydrate avec la neige. Quelques pierres dévalent avant et après notre passage du couloir de la mort. Nous arrivons bientôt au refuge où nous marquons une pause.
Dernier tronçon ensuite pour rejoindre le Nid d'aigle et le TMB. Plus de neige, plus de crampons et plus de cordée. Nous pressons le pas, peur de louper le dernier train. De nombreux Bouquetins nous regardent descendre. Je me sens bien en descendant. Je profite du dernier kilomètre pour me faire plaisir. Mes genoux, sensibles parfois, n'en pâtiront pas les jours suivants. La gare est là.
Il y a du monde au Nid d'aigle. Il faut dire qu'à la vue du temps du jour et la fin des vacances, les touristes sont venus en masse randonner en dessous de Tête Rousse. Il n'y a plus de place dans le dernier train. La compagnie du TMB a ajouté une dernière rotation : On aurait pu prendre du temps supplémentaire pour descendre, mais finalement c'est très bien comme çà. Émeric me rejoint peu après. On attend une bonne heure avant de prendre notre train.
A l'intérieur du train, on rencontre un type, Thierry Chambry, qui nous demande si on rejoint Chamonix ensuite. On découvre rapidement qu'il est venu s'entraîner pour l'ultra trail du Tour du Mont-Blanc, un truc de malades, et qu'il n'est autre que le vainqueur 2007 de la Diagonale des fous à la Réunion. La randonnée qu'on s'est tapée en 2005 en 12 jours, il l'a faite en courant en 23h30, rien que çà. Bon c'est bien tout ça, mais ça n'enlève rien à notre superbe victoire du jour.